Nino Ferrer

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Philippe

Decousset
Nul ne niera que raconter en quelques lignes une histoire d’A. de trente cinq années est une gageure. Comment expliquer qu’un beau soir, une sorte d’alchimie a fait battre le cœur plus fort et plus vite, magie du coup de foudre ?

Pourtant cela s’est produit à l’automne 1964. Ma rencontre avec Nino je la dois, à leur insu, à une poignée de copains et de copines d’alors (Salut les Copains !) : Jacky, Guy, Maryse, Danièle, Raymond et Marinette… et d’autres, qui eurent la bonne idée de mettre sur pieds ce que l’on nommait une surprise-partie. De surprise il n’y avait que les breuvages divers achetés en cachette et qui foisonnaient parmi les paquets éventrés de Gitanes, de Disques bleus et de Kool. Pour le reste, chacun était là avec sa chacune et savait pourquoi, ou espérait, les dindons de la farce étant les parents qui se demandaient parfois, certains soirs, la raison de cette agitation et de ces effluves exagérés d’Eau de Cologne. Le dieu Teppaz subissait sans respirer les assauts de toutes les mains et je n’ai jamais su comment « Pour oublier qu’on s’est aimé » atterrit dessus. Touché au cœur, l’irréparable se produisit malgré Bill Haley, Johnny, Vince Taylor, Eddy, les Shadows, les Spotnicks, Françoise Hardy et même Dalida présents ce soir là, perdus dans une foule d’étoiles pour la plupart filantes en Super 45 tours 4 titres !

I l m’a fallu attendre 1966 et traverser une jeunesse chaotique pour que ce choix m’apparaisse évident et définitif, jetant mon dévolu sur Nino à travers une collection de disques naissante mais déjà affirmée et affamée toujours. En juin 1967, dans un patelin du Gers, il fut le premier artiste que je vis sur scène et ces images sont encore dans ma tête, Manu Dibango à l’orgue et chevelu, dans un groupe qui envoyait. Instants magiques pour un môme d’alors de voir son Idole, pour de vrai, sortie tout droit de l’unique chaîne en noir et blanc. Age tendre et tête de bois…

Non seulement le rêve se réalisait mais nous n’avions pas encore conscience de cette chance qui s’offrait à nous en cette décennie. Les grandes vedettes faisaient des tournées marathons et n’hésitaient pas à se produire dans de toutes petites villes, on était loin des Bercy et des Stade de France et des services d’ordre musclés et renifleurs.

Contrairement à d’autres peut-être, j’ai aimé Nino davantage encore à partir des années 70, au moment où, contre vents et marées, il a voulu faire la musique qu’il ressentait, se privant fatalement de toutes les facilités et d’un succès « grand public » La musique bien sûr mais aussi l’atypie et le regard de l’artiste furent l’essence de ma passion grandissante pour Nino tout comme grimpait ma pile de disques.

Ces années 70 filèrent à toute allure, je suivais tant bien que mal et rattrapais les évolutions de « mon Artiste » qui produisait beaucoup et de mieux en mieux. J’usais jusqu’à la trame ses albums, les repassant inlassablement. A chaque fois, je prenais soin d’en acheter au moins deux, allant même jusqu’à trois « Blanat » (3ème révélation) Ainsi, d’émissions de télévision et de radio, de coupures de journaux hétéroclites en concerts souvent manqués, je réussissais à lier mon existence de fan, de mari et de père de « mafille », à celle de Nino qui ne le savait pas encore.

Où situer le hasard dans la vie ? Existe-t-il ? Je ne peux répondre. Un jour du printemps 1985, avec Christine et Sophie nous débarquions dans le Sud-Ouest campagnard, à une portée musicale de « La Taillade en Quercy » du sieur Nino Ferrari et de sa Tribu. Le 8 mai 1987 à Montauban, concert de l’artiste, façon bluesman américain : Ne voulant pas le regretter éternellement, mort de trac, je me jette à l’eau et établis le contact « physique » avec Nino. Il n’avait pas oublié ma première lettre en 1982 après la sortie d’ « Ex-libris » à laquelle il avait répondu, pas plus que les boîtes de Havane des Decousset, après l’Olympia de 1983. Cet après-midi là, j’entrais dans le rêve, le courant était passé, instantanément.

Mon esprit n’a plus jamais quitté Nino, il a fait partie de notre vie durant les années qui suivirent, nous entraînant dans une sorte de maelström dont nous ne sortons pas indemnes, nous les disciples discrets, vibrant à l’unisson.

Nino nous a fait bourlinguer, voyager dans tous les sens du terme : Concerts, télévision, radio, expositions, studios d’enregistrement, fêtes familiales, c’était un échange, une communion de tous les instants. Nous étions là, attentifs et admiratifs, parce qu’il était là, nous étions heureux parce qu’il l’était. Je ne demandais rien à ce grand Frère d’âme, de musique et d’ailleurs. Voulant inlassablement l’encourager, je lui ai offert ma sincérité, je suis resté sensible aux confidences de cet écorché vif, partageant ses bonheurs et ses angoisses et tellement de moments d’intimité indicibles. Il m’a donné le meilleur : Sa confiance et sa fidèle Amitié.

Au bout du compte, après quelque cent cinquante messages adressés à Nino et ses lettres que j’ai si souvent relues, je ne suis plus sûr de connaître le pourquoi.

On aurait pu vivre ça plus d’un million d’années…

Philippe DECOUSSET

A Kinou, Pierre, Arthur, Christine et Sophie, Milton (l’aigle) et Oscar.